L’auteur : Mathilde Barèges est élève administratrice territoriale à l’INET. Originaire de Montauban dans le Tarn-et-Garonne, avocate de formation, elle s’intéresse particulièrement aux questions de développement territorial. Elle a réalisé son stage d’observation auprès de la Directrice générale des services de la Commune de Suresnes (Hauts-de-Seine) entre juin et juillet 2018

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Une ville historiquement ancrée dans le Grand Paris

En 1859, à la veille de l’annexion des communes limitrophes de Paris pour former les vingt arrondissements actuels de la capitale, le Ministre de l’Intérieur Claude-Alphonse Delangle tient ces propos au sujet de la banlieue :

La population installée dans la zone intermédiaire ne doit son existence et sa prospérité qu’à Paris. Ces communes doivent donc supporter les charges et les dépenses de toute nature qui sont imposées à la ville dans l’intérêt commun.

Comment ne pas souligner l’actualité de tels propos après avoir effectué un stage à Suresnes? Après l’agrandissement de la capitale en 1860, cette ville située à l’Ouest sur la rive gauche de la Seine est devenue la “nouvelle banlieue” de Paris. Et la réalité aujourd’hui est la même qu’il y a plus de 150 ans, toujours aussi ambigüe : la proximité de Paris est autant une chance qu’un fardeau.

Extension historique du territoire parisien

En 1860, cette périphérie proche est contrainte d’absorber ce que la grande ville rejette: les industries, les entrepôts, les cimetières, les hôpitaux et les logements sociaux. Dans ces territoires oubliés de l’industrialisation, une réflexion va naître autour de l’aménagement de la région-capitale.

A Suresnes en particulier, l’ancrage dans le Grand Paris est précoce sous l’influence d’Henri Sellier (ci-dessous), maire emblématique de la ville de 1919 à 1941 et membre du cercle de réflexion Le Musée social qui prône un urbanisme social et une vision englobante de la région parisienne.

 

L’expression “Grand Paris” apparaît pour la première fois dans un rapport qu’il co-écrit en 1913 sur l’extension de Paris. Il s’investira toute sa vie pour la prise en considération des élus locaux dans la région mais cela n’aboutira à rien de concret.

Le maire tutélaire est également connu pour avoir transposé en France le concept de cité-jardins développé par l’urbaniste britannique Ebenezer Howard. En devenant président du premier Office d’habitat de la région parisienne, il est à l’origine de la création de onze cités-jardins autour de Paris – dont une à Suresnes -, qualifiées encore de “modèle français.”

En tant que maire, Henri Sellier est un aménageur-bâtisseur au même titre qu’André Morizet à Boulogne-Billancourt. Ils ont des préoccupations communes, ancrées dans le socialisme municipal: l’architecture moderne au service de l’habitation populaire, hygiène et santé publique.

Une ville en continuité avec son histoire

Le MUS de Suresnes, comme un hommage à Henri Sellier

Le Musée d’histoire Urbaine et Sociale (MUS) est un Musée de France, héritier du musée de Suresnes créé dès 1890 sous l’impulsion de plusieurs érudits locaux. Repensé au début des années 2000, ce lieu se distingue à deux titres:

  • Son emplacement tout d’abord: à l’occasion du nouveau projet scientifique et culturel, il a été décidé de réinvestir une ancienne gare ferroviaire (Suresnes-Longchamp), qui jalonnait la ligne dite des Moulineaux, permettant de desservir l’hippodrome de Longchamp. Mêlant tradition et modernité, l’ensemble architectural s’inscrit avec succès dans le décor urbain.
  • Sa contribution ensuite à la vivacité de l’histoire locale: la place d’Henri Sellier y apparaît comme déterminante et l’exposition permanente permet de saisir l’ambition de projets tels que celui de la Cité-jardins mais aussi de l’Ecole de Plein Air, autre site emblématique de la ville qui a été retenu dans le cadre de l’appel à projets “Inventions la Métropole du Grand Paris”.

Le Mont-Valérien, lieu de mémoire et symbole de la résistance française

La forteresse du Mont-Valérien fût le lieu d’exécution de plus d’un millier de résistants. Devenu symbole de la résistance française, le site abrite le Mémorial de la France combattante, le Circuit mémoriel du Mont-Valérien, le Bosquet de la liberté et le Cimetière américain de Suresnes.

Vue sur Paris et le cimetière américain de Suresnes

La commune de Suresnes s’est inscrite dans une démarche mémorielle pour ne pas oublier ce passé douloureux: en 1983, à l’occasion des commémorations des 40 ans de la mort de Jean Moulin, le stade de rugby est rebaptisé du nom du résistant. Au fronton du stade, est inscrit un extrait de l’oraison funèbre d’André Malraux à Jean Moulin lors du transfert de ses supposées cendres au Panthéon en 1964 :

« Aujourd’hui, jeunesse, puisses-tu penser à cet homme comme tu aurais approché tes mains de sa pauvre face informe du dernier jour, de ses lèvres qui n’avaient pas parlé ; ce jour-là, elle était le visage de la France…. »

Pour conjurer l’oubli, des noms de rues également nous interpellent: rue de la Liberté, route des Fusillés de la résistance, rue Missak Manouchian, rue des Cendres…

A Suresnes, le plus grand vignoble d’Ile-de-France

D’autres rues de Suresnes – la rue des vignes, des bons raisins – conduisent le promeneur vers un temps plus ancien et plus joyeux, le temps où le vin de Suresnes était vin des rois!

Une association maintient et exploite depuis 1984 la vigne du Clos du Pas-Saint-Maurice, vestige du passé viticole de la ville : 4 500 bouteilles par an, Chardonnay à 85%, Sauvignon à 15%. Soutenant cette initiative, la commune organise chaque année un festival des vendanges, fête populaire et conviviale qui rassemble près de 30 000 personnes.

Le logement, une préoccupation sans fin aux portes de Paris

Si la question du logement est prégnante dans l’ensemble de la région parisienne, elle l’est toujours avec une force particulière à Suresnes où Christian Dupuy, maire de la ville depuis 1983 est particulièrement investi en ce domaine. Partisan de la mixité sociale, il a réhabilité et fait progresser le parc des logements aidés, tout en créant des logements intermédiaires et en développant l’accession sociale à la propriété.

Théâtre Jean Vilar, au coeur de la cité-jardins

Les loyers du parc privé sont élevés à Suresnes. Le logement intermédiaire est une préoccupation forte du territoire qui doit pouvoir offrir aux jeunes actifs et salariés à revenus moyens des offres accessibles. Demeure un enjeu de taille : comment assurer densification à marche forcée de la petite couronne parisienne, qualité du cadre de vie et mixité sociale ?

Pour des communes comme Suresnes, Paris est ce géant qui vous fait et vous défie dans le même temps.

Suresnes, un territoire historique du Grand Paris