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En lien avec les valeurs qu’elle entend porter à travers le choix de son nom, la promotion Simone de Beauvoir a organisé, à l’occasion de son baptême les 27 et 28 février 2014, une table ronde au Conseil régional de Midi-Pyrénées autour du thème suivant

 ” L’égalité femmes-hommes dans les politiques publiques : illusion ou réalité ? “

Une question au cœur de l’actualité législative

L’égalité femmes hommes est au cœur des débats et fait l’objet d’un projet de loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes actuellement en deuxième lecture au Sénat. Ce projet de loi vise à accroître la transversalité des dispositifs comme en matière de conditionnalité de la passation de marchés publics.
Dans le même temps, il s’agit de considérer la réalité de cette égalité dans le contexte territorial ainsi que les outils dont disposent les collectivités territoriales pour intégrer cette question dans la mise en œuvre des politiques publiques. Il est intéressant également de voir comment les collectivités s’approprient la dimension transversale de cette question en tant que levier de l’action publique.
Le rapport Feltesse sur l’ «Egalité femmes/hommes dans les territoires», remis à la ministre du droit des femmes, recense les collectivités engagées en ce sens et identifie des leviers d’action.

A travers cette table-ronde, l’idée est d’aborder la question de l’égalité femmes hommes concrètement, autour des expériences toulousaines innovantes.

La Région Midi-Pyrénées a identifié cinq conditions pour permettre l’établissement de cette égalité : un portage politique fort et situé au plus haut niveau, l’exemplarité interne de la collectivité, la nécessité d’un vrai budget dédié à cette question, un personnel impliqué ainsi que des partenariats locaux.

Nadia PELLEFIGUE, Vice-présidente engagée pour la Région Midi-Pyrénées

Les collectivités n’ont pas pour compétence obligatoire de traiter de l’égalité femmes hommes ; leur rôle en la matière n’en est pas moins une évidence. C’est une nécessité, une obligation morale et un levier en matière de mise en œuvre des politiques publiques. Se pose alors la question des moyens humains et financiers puisque la question n’est régie par aucun code ni aucune loi.

Un projet de loi pour l’égalité réelle entre femmes et hommes a été présenté à l’Assemblée Nationale le 28 janvier dernier et adopté à une large majorité. L’article 1 de ce projet dispose que les collectivités et établissements publics doivent être investis dans la politique de promotion de l’égalité.

On a souvent tendance à diffuser des stéréotypes et à reproduire les inégalités entre femmes et hommes. C’est notamment le cas dans le choix des métiers médico-sociaux (kinés, infirmières, travailleurs sociaux).

Les collectivités doivent intervenir dans le champ pour instaurer au mieux l’égalité femmes hommes. Certaines sont signataires de la Charte européenne pour l’égalité des femmes et des hommes dans la vie locale. La Région Midi-Pyrénées a été la 4ème région à signer cette charte en 2007, et la 1ère à adopter un plan d’action pour l’égalité ; elle a  adopté le second en 2011.
Si les discours et les intentions sont affichés dans les chartes, qu’en est-il de la gouvernance et des moyens d’actions pour porter réellement cette politique ? Une ligne budgétaire ainsi que des moyens humains ont été mis à disposition de la mission Egalité au sein de la Région, car la pratique de cette égalité n’est pas « innée » dans l’exercice professionnel au quotidien. Les moyens d’action passent par la gouvernance (intitulé et fonction pour porter ces questions), et par les politiques publiques.

Mener une politique publique ne consiste pas en l’octroi de subventions ; il faut en faire une compétence première et décliner ces questions dans l’ensemble du champ d’intervention. La priorité est donc de donner une cohérence à l’action de la Région en  matière d’égalité femmes hommes et de la mettre au regard des compétences de la Région.
L’égalité innerve les politiques publiques ; mais il faut prendre en compte les usages, notamment en termes d’inégalités entre femmes et hommes (tâches ménagères, micro déplacements effectués par les femmes) ; quand une politique d’aide tarifaire est menée, notamment dans les déplacements travail-domicile, dans les subventions aux associations, la dimension de l’égalité femmes hommes n’est pas nécessairement pensée. La destination des fonds et l’usage qui en est fait en faveur de l’égalité femmes-hommes doivent être plus précisément identifiés.

Mais la période de raréfaction des fonds publics présente une vraie opportunité pour l’égalité femmes-hommes, car elle oblige à évaluer davantage. Or ces évaluations peuvent permettre d’être plus précis dans la manière d’administrer et de flécher les fonds. C’est là aujourd’hui que le bas blesse, les politiques sont souvent menées de manière sectorielle, alors qu’elles doivent être reliées entre elles. Ce cloisonnement nuit à l’installation d’une efficacité réelle par rapport à la mise en place de l’égalité femmes hommes. Il s’agit alors d’arriver à une politique réellement intégrée avec des directeurs formés à ces politiques. Le Conseil Régional a voulu une formation pour que les agents mènent à bien l’intégration de la recherche d’égalité dans les marchés publics. La place des universitaires est également majeure car ils définissent le cadre de l’évaluation et les indicateurs à utiliser afin d’évaluer la performance de cette politique publique.
Il faut inclure dans l’ensemble des champs des politiques publiques ces réflexions, penser cette nécessité d’égalité pour qu’elle accompagne en tout point les politiques publiques.
La mise en œuvre du gender budgeting en est une traduction : elle découle de la difficulté de gérer des budgets sous contrainte et de pouvoir le faire de façon transverse.

Joël NEYEN – Directeur Général des Services

La Région milite activement en faveur de l’égalité femmes hommes et a lancé un certain nombre d’actions dans ce domaine : insertion de clauses sociales dans les marchés publics, politique de sensibilisation dans les lycées, dans les entreprises, ou encore dans les écoles d’infirmiers (l’égalité commence aussi par le vocabulaire en parlant d’écoles d’infirmiers et non pas d’écoles d’infirmières).

La ligne budgétaire consacrée à cette question trouve d’autres relais dans d’autres lignes budgétaires beaucoup plus conséquentes comme celles relatives à la formation professionnelles ou aux lycées. 1 euro investi permet de lever beaucoup plus dans l’ensemble des politiques publiques régionales, et de toucher un public très large, des CFA aux écoles d’infirmiers et d’infirmières. La question de l’égalité femmes hommes doit être amplifiée par la communication politique. La notion d’Agenda 21 s’inscrit dans la même logique : elle n’est pas communicante en soi, mais lorsqu’un élu s’empare de la question en rendant l’administration exemplaire en interne, cela devient un enjeu de politique publique.

Les obstacles à l’égalité femmes hommes sont bien connus : ils viennent essentiellement des habitudes et des préjugés à l’égard des femmes dans notre société – l’instauration du plafond de verre notamment. Le plafond de verre est fait pour être brisé ; il s’agit de se doter d’outils en interne. Au niveau national, la réflexion de l’Etat reste parcellaire. Alors que l’AMF et l’ARF notamment sont signataires d’engagements, il y a peu de témoignages d’administrations, surtout d’Etat. Il est plus facile de combattre ces inégalités dans la fonction publique territoriale car par définition ces administrations sont plus souples et ont mieux intégré le management. Cela passe par des mesures simples : avec l’agrandissement de l’hôtel de région, une crèche régionale a été créée.
L’enjeu consiste alors à faire évoluer les individus et les mentalités encore très formatées (exemple : les temps partiel pris à l’occasion d’une naissance sont essentiellement pris par les femmes). Il faut œuvrer sur l’éducation même des lycéens afin de les sensibiliser à la question de l’égalité dès le plus jeune âge.

Les leviers à utiliser afin de tendre vers l’égalité femmes hommes sont surtout ceux des ressources humaines, de la formation et du management. C’est ainsi que le bilan social de la Région est explicité en fonction de données sexuées, afin que ce document puisse constituer un véritable outil de pilotage. En pluriannualité, il est ainsi intéressant d’avoir des données sur l’évolution de la place des femmes ; pas en termes de nombre, mais concernant leur place dans l’encadrement : outil de pilotage à part entière d’une administration.
La Région n’est pas encore exemplaire en matière d’égalité femmes hommes, notamment dans les niveaux de Direction générale (5 DGA dont 1 femme), mais déploie des efforts importants afin de tendre vers cette égalité (19 directeurs dont 8 femmes, 24 directeurs-adjoints dont 11 femmes, 64 chefs de service dont 36 femmes, soit des perspectives d’égalité). Il faut néanmoins rappeler que le recrutement doit se faire en fonction de la compétence et non des quotas. Ceci doit être particulièrement vrai pour l’attribution des emplois fonctionnels. Mais pour atteindre l’égalité, il faut lutter contre l’autocensure d’un certain nombre de femmes sur ces postes à forte responsabilités.
En termes d’effectifs, la région se situe dans une zone de progrès : sur les catégories A, 245 femmes et 158 hommes ; catégories B 153 femmes et 33 hommes ; catégories C 238 femmes, 33 hommes. Les hommes assistants de direction sont par exemple encore très rares à cause des stéréotypes.

Sylvie COLLARD et Elsa ARVANITIS de l’association ARTEMISIA

L’association ARTEMISA a pour mission de mener des actions de formation sur les luttes contre les discriminations à destination des collectivités territoriales, des entreprises, des enseignants, ou encore des animateurs d’associations. L’association observe un début de tendance à une diminution des stéréotypes, même si les discriminations restent encore très présentes. 4 projets importants sur la thématique sont soutenus par la Région en 2013 – 2014, notamment des projets relatifs à des interventions dans les lycées sur la thématique de la question du genre et son imprégnation dans les réseaux sociaux.

L’association mène également des entretiens avec les organisations syndicales afin de connaître leurs besoins et leurs attentes, ceci afin de les doter d’outils leur permettant de militer en faveur de l’égalité professionnelle. Un guide des bonnes pratiques professionnelles a également été créé afin d’aider les entreprises à œuvrer dans le sens de l’égalité, ainsi qu’un reportage audiovisuel montrant deux entreprises primées qui expliquent la façon dont elles ont mis en œuvre l’égalité femmes hommes au sein de leur organisation.

La Région, le Département et la Ville de Toulouse soutiennent par ailleurs le projet Egalicrèche afin de lutter contre les stéréotypes filles-garçons dès le stade de la Petite Enfance. Peu d’actions de formation sont menées aujourd’hui vers les professionnels de la Petite Enfance alors que cette tendance est beaucoup plus marquée au Québec et en Suède.

Suite au rapport de l’IGAS (Inspection Générale des Affaires Sociales) traitant de l’observation des inégalités dès la Petite Enfance, deux expériences pilotes en crèches  ont été lancées à Toulouse et en périphérie (centre-ville et quartiers ZUS). Deux autres sont prévues en zone rurale et en milieu urbain. Il s’agit de favoriser l’épanouissement de tous les enfants peu importe leur sexe, et d’éviter de les cantonner dans des stéréotypes et de les « ranger dans des cases ». Des rencontres avec les partenaires locaux sont régulièrement organisées, ainsi que des actions de sensibilisation des parents et personnels des crèches lors des assemblées générales des directeurs de crèche.

Plus généralement, on observe des différences entre enfants et lors des interactions entre professionnels et enfants. Ainsi il est noté que les filles pleurent davantage et jouent plus en groupe alors que les garçons jouent plus seuls et ont des comportements plus agressifs avec les autres. Les professionnels font des différences entre filles et garçons, notamment en ayant plus d’interactions avec les garçons. Les adultes parlent plus aux garçons et les félicitent plus (64% des félicitations s’adressent aux garçons). 73% des cas d’aides vont aux garçons. On note également une plus grande réactivité aux pleurs des garçons (42% pour les filles et 74% pour les garçons). En moyenne, on observe 60% d’interactions avec les garçons et 40% avec les filles, tendance accentuée en primaire avec 70% d’interactions avec les garçons et seulement 30% avec les filles.

Des ateliers de réflexions sont menés sur les pratiques professionnelles dans une démarche de co-construction avec les professionnels des secteurs concernés. C’est ainsi que ces derniers se rendent davantage compte de la différence de traitement entre filles et garçons, et ont une meilleure prise de conscience des stéréotypes, ce qui les amène à supprimer certaines pratiques et à en modifier d’autres. Les professionnels intègrent la question de l’égalité dans leurs pratiques professionnelles.

Magali BACOU : Territoire toulousain, laboratoire de recherche sur l’effectivité de l’égalité filles-garçons.
Recherche sur la mixité sexuée dans les loisirs des jeunes.

Les activités sportives concernent principalement 70% de garçons âgés de 8 à 20 ans. Des subventions publiques sont accordées aux associations et vont donc logiquement vers une proportion plus importante de garçons que de filles. On s’aperçoit que la différenciation des sexes commence en crèche, pour se poursuivre en collèges et lycées. Les filles décrochent plus majoritairement des activités de loisirs entre 11 et 13 ans, lors de l’entrée au collège. L’idée est donc de déconstruire les stéréotypes de sexe à tous les âges pour tendre vers une pratique des loisirs qui soit plus égalitaire. Les résultats de l’étude sont par ailleurs pris en compte dans l’attribution des subventions.

En ce qui concerne la culture, on note un certain rééquilibrage en faveur des filles. Alors que les équipements physiques sont majoritairement destinés aux garçons, les équipements culturels sont davantage utilisés par les filles. On note ainsi et encore, une ségrégation sexuée des espaces de loisirs.

Les activités jeunesse des 8- 20 ans sont très majoritairement masculines. On note ainsi une forte proportion de garçons participant à des stages de vacances (82%). Plus généralement on observe une incohérence des postures et des pratiques professionnelles au sein des équipes d’animation. En particulier, il n’y a pas de lien de confiance entre les jeunes et les professionnels des animations de loisirs pendant les vacances. Il s’agit alors d’éviter les conflits entre les jeunes et les professionnels, en rétablissant une certaine crédibilité de ces professionnels.

Une division sexuelle du travail dans les accueils de loisirs est également perceptible. Les inégalités sont reproduites car les animateurs et animatrices n’encadrent pas les mêmes activités de loisirs. Se pose alors la question de savoir comment faire participer les filles dans des activités qui accueillent traditionnellement les garçons ? La majorité des activités proposées sont physiques et sportives, orientées vers la compétition et la performance, donc attirent plus les garçons. Il y a en particulier une socialisation différenciée des filles et des garçons par rapport à la pratique sportive (garçons vers la compétition et la performance, filles vers les loisirs). Les filles sont présumées moins performantes que les garçons. On met par ailleurs en doute leur identité en cas de bonne performance : les filles sont des garçons manqués… Chaque compétiteur, qu’il soit fille ou garçon doit pouvoir trouver ses marques et sa place quelle que soit sa performance.

Les inégalités femmes hommes persistent également dans la fonction publique. A compétence égale, on note un écart salarial de 9% en moins pour les femmes. La politique en faveur de l’égalité femmes hommes doit être transversale, au service des autres politiques telles que la formation professionnelle par exemple. La sphère publique doit disposer d’outils permettant de détricoter les stéréotypes en faveur des inégalités. Il s’agit également de faire évoluer les organigrammes, la communication, les carnets d’adresses en faveur d’une féminisation et de lutter contre le réflexe de conservation du pouvoir qui favorise les inégalités. L’administration doit être solide et force de proposition dans ce domaine. Elle est invitée à faire du benchmark avec les autres collectivités afin de s’inspirer des pratiques professionnelles qui ont fait leur preuve en faveur d’une plus grande égalité. Les collectivités peuvent également faire du réseau avec l’Etat pour avoir accès aux études, et surtout aux financements sur cette politique publique.

Nadia Pellefigue
La manière de l’égalité n’est pas uniquement de créer un pôle qui en soit chargé, mais de faire en sorte que ce pôle veille à ce que cette question innerve l’ensemble des politiques publiques.
Ce sont les valeurs que la société véhicule que les hommes et les femmes intériorisent et qui freinent les progrès.
Des outils permettent de faire tomber ces stéréotypes et ont été impulsés par l’Etat central.

Marie-Francine François, Présidente de l’AATF
On met l’accent sur la haute fonction publique, pour autant la présence et la visibilité des femmes à d’autres niveaux fait que la question est prise en compte de manière différente : organisation du temps de travail qui a beaucoup évolué depuis quelques années justement par la prise en compte du personnel féminin.
Derrière l’égalité femmes-hommes, il y a aussi un combat social : c’est en permettant aux filles d’accéder à certaines activités dans les quartiers notamment qu’on sortira des clichés.

Simone de Beauvoir disait notamment :
« Rien n’est jamais définitivement acquis. Il suffira d’une crise politique, économique, ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Votre vie durant, vous devrez rester vigilants. »

Retrouvez l’interview de Nadia Pellefigue ici.

L’égalité femmes-hommes, un combat cher à la promotion Simone de Beauvoir