Le groupe thématique « Solidarités » s’est réuni le temps d’un déjeuner pour échanger sur les défis organisationnels au cœur des politiques sociales.

Dans le cadre de nos stages « thématiques », plusieurs élèves administratrices et administrateurs ont été amenés à observer, analyser et questionner des politiques de solidarités ainsi que leurs modèles organisationnels territorialisés. Lors d’un temps d’échange le mardi 9 septembre, ils ont partagé leur retour d’expérience et les principaux enseignements qu’ils en tirent.

Au-delà de la diversité des contextes locaux (Ardèche, Loire-Atlantique, Val d’Oise, Vendée…), des constantes apparaissent, notamment dans les incidences qu’ont les modes d’organisation sur les politiques publiques menées. Si les défis sont multiples (relations entre la centrale et les unités décentralisés, capacité d’adaptation, risque de fragmentation, qualité et efficience du service public…), des innovations locales et des dynamiques collectives apparaissent et sont porteuses d’espoir.

La territorialisation : une promesse d’adaptation et un impact structurel sur les politiques conduites

Il n’y a là rien de révolutionnaire, les structures déterminent les pratiques (James G. March & Herbert A. Simon, 1958 ; M. Crozier, 1970 ; P. Bourdieu, 1980), et cela s’applique pleinement dans le champ des solidarités. La territorialisation est un principe largement assumé dans les politiques sociales. Elle vise à rapprocher les services des usagers, à un niveau infra-départemental le plus souvent, et à adapter les réponses aux réalités locales. Ses bénéfices sont étayés, en matière par exemple de proximité aux usagers et d’adaptation de la gouvernance, comme en Ardèche où ce modèle a été développé depuis les années 1990.

La territorialisation de l’administration, et la reconnaissance de marges de manœuvre aux unités locales, peut ainsi renforcer les capacités d’adaptation des politiques et des agents aux réalités d’un territoire. Ainsi, l’absence de cadre unificateur – par exemple de schéma de solidarité territoriale effectif – peut appeler les acteurs d’un territoire à entretenir des dialogues resserrés, comme dans le département du Val d’Oise.  Aussi, une organisation décentralisée peut faciliter la construction de ces espaces d’échange, notamment autour de priorités de politiques publiques – comme la prévention -, dès lors que le temps nécessaire pour les équipes est sanctuarisé.

Cette adaptation peut également induire des évolutions plus structurelles des politiques conduites. A titre d’exemple, la territorialisation du département de la Vendée a été présentée comme levier d’adaptation des services aux mutations des besoins. Dans un contexte de moindre présence des autres acteurs concernés par l’accompagnement des publics sur le territoire (Etat, Sécurité sociale, Poste, …), les Maisons Départementales des Solidarités semblent ainsi répondre à des flux croissants d’usagers, dont les demandes sont de plus en plus larges – ce qui conduit à une transformation structurelle de leur objet.

La diversité des contextes locaux conduit également les professionnels à adapter leurs pratiques aux besoins et capacités d’action locales, ce qui entraîne des variations dans les politiques publiques. Par exemple, un élève a relevé une forte hétérogénéité en matière de prévention, d’actions éducatives, et de suivi des parcours des enfants confiés entre les unités territorialisées d’un département.

Les organisations territorialisées induisent également des risques de fragmentation

Sans remettre en question la raison d’être de la territorialisation, les débats se sont néanmoins concentrés sur les risques induits par ces modèles d’organisation et sur les leviers de maîtrise existants. La territorialisation peut en effet entraîner une hétérogénéité croissante des pratiques, potentiellement vectrice de risques.

Cette territorialisation peut conduire à une dilution des responsabilités, a fortiori lorsque les différents liens (hiérarchiques, fonctionnels) apparaissent insuffisamment explicites. Par ailleurs, le lien avec les directions métiers en centrale, le pilotage des unités décentralisées par une direction dédiée, comme la structuration des unités elles-mêmes contribuent à cadrer les pratiques. Un exemple marquant évoqué : des « coordinateurs » des unités en local, placés dans un double rattachement à la fois métier et territorial, mais sans autorité hiérarchique directe sur les équipes, ce qui entrave la structuration des pratiques.

L’hétérogénéité des pratiques induite par une organisation territorialisée peut ainsi compromettre la consolidation des données d’activité et la vision d’ensemble des politiques du département. En conséquence, l’exercice de la responsabilité des élus peut apparaître compromis. En tout état de cause, le risque d’effet “boîte noire” a été souligné, et représente un risque pour la lisibilité de l’action publique et donc son acceptabilité. Ce risque a notamment été identifié dans le cadre des différences de pratiques en matière de mesures individuelles en matière de protection de l’enfance.

Dans certains cas, la divergence des pratiques dans un contexte de moindre supervision peut être facteur d’insécurité juridique, ce qui appelle à la prise de mesures correctrices. Des surcoûts, induits par une charge de travail par agent relativement moins élevée qu’ailleurs, ont également pu être identifiés au sein de certains départements.

Les parcours des professionnels, aux prises avec ces enjeux organisationnels

Les réalités des professionnels du social, ainsi que leurs parcours de carrière apparaissent également importants dans l’analyse des modèles organisationnels.

Ainsi, la territorialisation des politiques de solidarités au sein d’un département aux besoins hétérogènes peut exposer les professionnels à des charges de travail variables. En conséquence, les risques en matière de santé au travail (surmenage, risques psycho-sociaux, burn-out, …) et la capacité à pouvoir bien faire son travail (facteur clef du sens au travail, Coutrot et Perez, 2021) peuvent différer. L’effectivité de la prise en compte des besoins des territoires dans la dotation en moyens d’intervention des unités apparaît ici déterminante.

Une attention particulière doit dès lors être portées aux conditions et au cadre de travail des agents. L’octroi d’un temps suffisant pour la prévention, pour les instances de partage d’information et d’échange des pratique sont essentiels pour garantir le sens au travail des agents, ainsi que la pertinence d’un modèle territorialisé. De plus, cette organisation peut exposer les agents à un isolement accru dans les pratiques, auquel il convient de remédier. Le département de Vendée considère ainsi l’opportunité de positionner à cette fin des agents auprès de services communaux.

Les parcours des professionnels apparaissent également comme leviers pour la réussite des modèles organisationnels de certaines politiques sociales. La mobilité des professionnels, en interne ou non, peut ainsi faciliter l’identification des points de convergence entre acteurs, entre le siège et les unités décentralisées, ou entre ces dernières et le tissu d’acteurs du territoire. Des évolutions en interne de travailleurs sociaux, vers des postes de coordination d’unité ou de direction en centrale permettraient également de nourrir le pilotage stratégique d’une plus grande compréhension de terrain, comme cela a pu être constaté par certains élèves administrateurs et administratrices.

Sans qu’il ne s’agisse de professionnels du département, il a pu être indiqué que le changement de juge des enfants pouvait être un facteur important dans l’évolution de l’activité, selon qu’ils soient plus ou moins enclins à confier les enfants au département, ou à privilégier des mesures de prévention.

Perspectives pour tirer profit de la territorialisation tout en maîtrisant les risques

Les stages thématiques conduits ont été l’occasion pour les élèves administrateurs et administratrices d’identifier – voire parfois de contribuer – aux bonnes pratiques permettant de maîtriser les implications de la territorialisation d’une collectivité. Parmi celles-ci, peuvent notamment être identifiés :

  • Garantir les marges de manœuvre en local, afin de consolider les capacités d’action et d’adaptations, et faciliter le développement de dispositifs et partenariats innovants. Mobiliser cette proximité aux usagers et l’adaptation des pratiques comme vecteurs d’information quant aux besoins d’un territoire.
  • Assumer des liens fonctionnels et hiérarchiques clairs, au sein des unités territorialisées et en lien avec la centrale, afin d’assurer une prise effective de responsabilité des différents acteurs.
  • La mise en place de temps d’échanges des pratiques, afin d’assurer la diffusion des innovations, bonnes pratiques, et d’offrir un cadre d’échange sur les difficultés rencontrées, permettant d’éviter des divergences trop grandes.
  • La structuration en central d’une fonction de supervision et d’appui, particulièrement attentives aux cas complexes et aux situations dormantes qui n’auraient pas fait l’objet d’un suivi récent par des unités rencontrant une surcharge d’activité, à l’instar de ce que proposent la Loire-Atlantique ou le Maine-et-Loire. L’identification en continu de situations en mesure d’évoluer est un levier face au besoin de places d’accueil, notamment pour des enfants sous mesure de protection.
  • Utiliser les systèmes d’information comme levier pour l’harmonisation de pratiques, notamment de reporting, et garantir une vision globale de l’activité.
  • Maintenir le lien à l’usager pour les agents du siège, en l’ouvrant au public.
  • Des ateliers “vis-ma-vie » peuvent également être mis en place afin de développer une compréhension commune du fonctionnement des politiques publiques, et permettre un langage partagé.
Retours d’expériences : les stages thématiques dans le champ des solidarités

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